25 octobre 2007

La guerre des mémoires

Il n'est pas évident de suivre les polémiques qui touchent votre pays quand vous vivez à l'étranger. Arrivent jusqu'à vous les lointains échos d'une rentrée sociale en pleine effervescence sur fond de grève des cheminots ou de revendications de la fonction publique pour le maintien et la défense de certains droits sociaux.

Et maintenant, cette affaire autour de la fameuse lettre de Guy Môquet à lire (ou pas !) devant ses élèves le 22 octobre 2007... Le 16 mai, le nouveau gouvernement décide d'ériger, en défenseur de la mémoire nationale, le communiste Guy Môquet fusillé par les Allemands le 17 octobre 1941. Dans l'immédiat après guerre, cet homme incarnait, d'une certaine manière, les valeurs de la France résistante jusqu'à ce que le temps fasse son effet, que les mémoires perdent de leur acuité et que ce nom ne rappellent plus grand chose à la majorité des gens (encore moins des lycéens).

Or, au-delà de l'injonction présidentielle à faire entrer dans les canons des cursus scolaires un tel texte, et cela, sans passer par les instances les plus à même d'en décider, il y a quelque chose de dangereux à exalter ainsi la fierté nationale et le sentiment patriotique : comment exalter un acte de résistance héroïque sans le resituer dans le contexte d'une France vichyssoise et d'un gouvernement à la solde d'Hitler ? Comment réinventer une mémoire résistante sans faire retour sur responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs car il n'est pas bon de parler de repentance en ces temps agités par l'enjeu de la mémoire collective ? Cette "repentance qui finit par exprimer la haine de soi, qui débouche souvent sur la haine des autres" disait Henri Guaino dans une interview à Libération. A vouloir fabriquer de toutes pièces un mythe national pour réinjecter un peu de fierté dans le sentiment d'appartenance à la nation française, ne risque-t-on pas de déraper ? L'enjeu semble d'importance puisqu'il faut à tout prix "positiver" le passé.

On pensait la guerre des mémoires terminée après la polémique sur l'esclavage, la question du génocide arménien ou le rôle "positif" de la colonisation, mais apparemment il n'en est rien. Pour preuve, la création toute récente d'un ministère de l'immigration et de "l'identité nationale" et cette nouvelle injonction faite au monde scolaire. La nation deviendrait-elle au regard du président et de son conseiller, Henri Guaino, un remède aux dérives de la mondialisation ? Certains profs se sentent instrumentalisés et ont du mal à exalter la France résistante alors que la traque des sans-papiers fait rage dans leur établissement. Et on les comprend ! Le devoir de mémoire qui est ici exhorté vient convoquer un passé pour le moins fantasmé. Quand l'histoire commence à être réécrite partiellement et réutilisée des fins politiques, il y a de quoi s'inquiéter.

http://www.nytimes.com/2007/10/23/world/europe/23france.html

http://profseteleves.blogs.liberation.fr/silnyavaitqueleseleves/

http://www.liberation.fr/actualite/politiques/286184.FR.php

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