12 décembre 2006

Confiant et les « innommables » !

Raphaël Confiant n’en est plus à sa 1re « incartade » médiatique, mais cette fois-ci, il est allé loin dans le racisme et la xénophobie. J’étais loin de connaître l’écrivain sous cet angle et je dois dire que ses propos sont pour le moins choquants, surtout quand ils émanent d’un intellectuel universitaire et défenseur inconditionnel de la créolité, de cette identité racine qui puise sa force dans le métissage et la « diversalité ». Que retenir de son pamphlet haineux La faute (pardonnable) de Dieudonné, que l’auteur a d’ailleurs judicieusement refusé de publier mais que vous lirez peut-être dans votre boîte aux lettres par bouche à oreille électronique ou que vous découvrirez dans l’article implacable et salvateur de Jacky Dahomay publié dans le Monde du 2 décembre 2006, L’innommable Raphaël Confiant ?


R. Confiant prend fait et cause pour l’humoriste Dieudonné (qu’il n’avait pourtant pas soutenu lors des dernières élections présidentielles) et part en croisade contre les Juifs qu’il ne désignera que sous le vocable d’innommables : il réagissait là à un article de Pierre Pinalie, ancien comparse et grammairien du créole martiniquais, lequel discourait sur les accointances plus que sulfureuses de Dieudonné avec Jean-Marie Le Pen. Mais ce qui est plus que surprenant, au-delà de la diatribe raciste de Raphaël Confiant, c’est la manière dont l’auteur fige les hommes dans un discours essentialiste où existeraient d’un côté les Européens et de l’autre les non-Européens, ou pour faire simple les colonisateurs et les colonisés, chacun portant à travers des générations la culpabilité ignoble (!) de ses pairs (les Juifs y compris bien entendu) : « Quand un Euro-Américain me fait une leçon de démocratie, de tolérance et de droits de l'homme, j'ai deux réactions : d'abord, je suis admiratif devant un culot aussi monstre. Après avoir génocidé les Amérindiens, esclavagisé les Nègres, chambre-à-gazé les Innommables, gégènisé les Algériens, napalmisé les Vietnamiens et j'en passe, voici que ça se pose en modèle de vertu ! Chapeau les mecs. Par contre, quand un Innommable, après tout ce qu'il a subi de l'Occident, vient me tenir le même discours et se pose à moi en civilisé et en Occidental, là je n'ai plus qu'une seule réaction. Comme Dieudonné, je me fâche tout net. »

S’adressant ouvertement à Pierre Pinalie qu’il définit par son « occidentalité » (c’est un Euro-Américain), avant de lui faire porter le chapeau d’un génocide séculaire, justement parce qu’il est Occidental, on peut s’intéresser à la légitimité de ce propos dont la logique est plus que tendancieuse. Parce que cet homme est Européen, il n’a pu qu’esclavagiser les Nègres, comme tout bon Européen qui se respecte ! Raisonnement essentialiste et dangereux où le Blanc est somme toute prédéterminé par son histoire, sa couleur de peau et son appartenance sociale : avant même que d’être homme, il est blanc ou noir, il est oppresseur ou opprimé. Dialectique simpliste à faire pâlir d’envie un Jean-Marie Le Pen ! En ces temps de précampagne électorale, le discours de cet intellectuel qui se fait le chantre des cristallisations identitaires ne doit pas laisser indifférent. Jean-Marie Le Pen n’a pas l’apanage de la xénophobie. Merci Monsieur Confiant ! Il était bon réveiller la morosité ambiante et de montrer que le racisme n’a pas qu’une seule couleur de peau.

16 novembre 2006

Marre des récits autobiographiques ?

Mais pourquoi donc la littérature française contemporaine m’ennuie-t-elle à ce point ? Certes, il serait absurde de l’enfermer dans une étiquette trop réductrice et de ne pas voir toute sa diversité de tons et de genres, sous peine aussi de retomber dans les débats du salon du livre de mars dernier où d’éminents journalistes et critiques littéraires posaient cette question qui n’a d’ailleurs pas été tranchée dans le vif : la littérature francophone est-elle française ou la littérature française est-elle francophone ! Débat sans fin où chacun défendait son pré carré littéraire et son intégrité stylistique, si tant est qu’elle existe ! D’un côté, une littérature franco-française se sentant menacée en son centre par une littérature francophone revivifiante restée encore en marge (même si les choses commencent à changer), de l’autre une littérature francophone en mal de reconnaissance aspirant à se retrouver au centre. Mais passons…

Disons, pour être moins catégorique, que ce qui m’ennuie profondément dans le roman français actuel, c’est sa propension à se raconter sous toutes les coutures comme si les états d’âme d’un auteur, si connu soit-il, suffisait à intéresser le lecteur. Condition sine qua non du bon roman français par excellence où l’autofiction vient taquiner l’autobiographie ! En effet, nombre de critiques s’extasient sur cette belle « inconstance du sentiment amoureux » ou sur cette « meurtrissure de l’être » qui se donne à voir sans pudeur, dans toute sa « vérité ». Encore faut-il se demander de quelle vérité il s’agit : la recherche d’une authenticité intrinsèque à chacun serait-elle le maître mot d’une société obnubilée par elle-même, devenue égocentrique à force de boire à la télévision des reality shows de plus en plus accrocheurs ? Pourquoi l’audimat passe-t-il par le fait de laver son linge en public ou de se raconter absolument dans son être le plus intime ? Si tout peut être matière à devenir roman – ce que je ne conteste absolument pas – une bonne partie des romans français actuels se construisent sur cette formidable capacité à ne rien dire. Romans psychologiques par excellence où le silence devient l’expression d’une « vulnérabilité indicible » ou d’une formidable « quête de l’amour impossible », comme disent certains. Bref en parlant de soi, l’auteur parle l’homme en général ! Du particularisme de l’écrivain pour toucher à l’universel ! Eternel leitmotiv du roman, tout écrivain aspirant à l’universalité.

Mais ce retour en force d’une subjectivité exacerbée va t-il au-delà de la simple autosatisfaction ? Je lisais récemment le dernier opus de Michel Besnier, La Vie de ma femme (Stock, 2006) ou encore celui de Camille Laurens Ni toi, ni moi (POL, 2006) et je n’avais de cesse de m’interroger sur l’intérêt de tels sujets : la chronique détaillée de la vie d’une femme – en l’occurrence la sienne – dans la France des années 50 à 70, pour l’un ; les aléas poético-romantiques d’une écrivaine en mal d’inspiration dont la correspondance mail deviendra finalement roman, pour l’autre ! Entre le journal d’une vie très ordinaire d’une héroïne qui n’a rien d’héroïque et les déchirements sur fond de « Je t’aime moi non plus, j’te quitte, j’te trompe, je divorce », je suis restée plutôt perplexe ! Certes, peu de rapports entre ces deux romans si ce n’est la fibre biographique et cette volonté de se raconter à tout prix pour faire de sa propre existence une histoire d’exception qui doit parler à tout le monde. Or si certains sont férus de ces retours d’expériences, de ces partages d’une vie réelle ou rêvée, pour moi, ces romans ont plutôt tendance à me laisser indifférente quand le biographique ne va pas au-delà de la simple complaisance et s’enferme dans une recherche somme toute égocentrique.

Il y a bien sûr des textes autobiographiques que j’ai découverts avec grand plaisir comme France, récit d’une enfance de Zahia Rahmani (Sabine Wespeiser éditeur, 2006) où l’auteur explore le poids de la culpabilité entre la France et l’Algérie à partir de son histoire familiale : partant de sa propre expérience, elle raconte avec justesse le devenir de toute une génération prise entre deux cultures et incapable de gérer cet entre-deux . Comment penser l’intégration dans la société française ? Faut-il s’assimiler totalement à une seule culture au risque de s’amputer d’une partie de soi-même ? Récit autobiographique certes, mais qui va bien au-delà…


Ou encore, une bande dessinée originale en matière d’autobiographie, Le Journal de Fabrice Neaud (Ego comme X, 1996-2002), œuvre complexe et singulière qui, à partir d’une expérience de vie, propose une réflexion à plusieurs niveaux sur la signification de l’image et le poids des valeurs dans notre société... L'autobiographie peut dépasser le simple narcissisme !

13 novembre 2006

L'Expressionnisme allemand... Déambulation à la Cinémathèque

Après Pommerat et sa mise en scène radicale du monde ouvrier, je suis allée voir l’exposition sur l’Expressionnisme allemand à la Cinémathèque Française. Je reste dans ma semaine « culture engagée ! ». Autre temps, autre mœurs ! Mais la balade vaut le détour.

L’itinéraire est plutôt bien conçu et tout est vu à travers le prisme du décor : après une présentation chronologique qui resitue le courant dans l’Allemagne des années 1920 sur fond de crise économique et de montée du nazisme, les axes sont thématiques et présentent le travail de décorateurs précurseurs comme Hermann Warm, Walter Röhrig, Robert Herlth, Otto Hunte ou Emil Hasler… Autant de noms oubliés mais qui ont marqué une avancée décisive dans l’histoire du cinéma. Le plaisir de cette exposition est totalement visuel : en plus des photographies de tournages, des croquis et des affiches, on déambule au milieux d'extraits plus ou moins connus des films de cette époque : La Mort de Siegfried de Fritz Lang (1924), Le Cabinet du Docteur Caligari de R. Wiene (1919), L’Ange bleu de Joseph Von Sternberg (1930), Nosferatu de Murnau (1921), Métropolis (1926) et Le Testament du Docteur Mabuse (1933) de Fritz Lang... Sans parler de la reproduction d’une partie du décor du Cabinet du Docteur Caligari fait par son créateur, Hermann Warn pour la Cinémathèque française. Un vrai bonheur !

C'est un plaisir de découvrir l’originalité des paysages extérieurs dont l’esthétique reste fortement influencée par le Romantisme allemand. On y retrouve également la prédominance de l’espace urbain et de ses perspectives distordues et inquiétantes où les personnages deviennent des silhouettes sombres et stylisées (à la façon du Nosferatu de Murnau). Sans oublier l’importance des espaces clos et étouffants des maisons et des appartements propices à l’irruption du fantastique et de l’étrange… L’architecture du décor devient finalement matière à repenser la situation dramatique pour lui donner un sens et communiquer au spectateur une atmosphère… Atmosphère que l'exposition retranscrit avec beaucoup de justesse. N'hésitez pas à y aller ! C'est jusqu'au 22 janvier.

10 novembre 2006

Les marchands de Joel Pommerat... Le délire sonore

Hier soir, je suis allée voir la dernière création de Joël Pommerat au théâtre Paris-Villette : Les marchands, conclusion d’une trilogie pour le moins surprenante sur la misère de notre monde actuel. Après Au monde et D’une seule main (que je n’ai pas vus), Les marchands a été, pour moi, une découverte : cette pièce offre une plongée hallucinante dans le monde ouvrier d’aujourd’hui. Toute la pièce est régentée par le monologue d’une seule femme, en une voix off qui passe par un micro. Entrée en matière plutôt déroutante et inhabituelle qui nous plonge dans un film muet en technicolor où chaque tableau se fige et rappelle par endroit la gestuelle de Chaplin. Dans une lumière bleutée et des bruits assourdissants, se détachent des silhouettes dont les corps accomplissent avec minutie, chaque jour, chaque heure, chaque minute, le même geste, le même rituel. A nous de deviner ce qu’ils font au milieu du bruit crissant des machines... Les corps deviennent finalement les rouages d’une mécanique encore plus énorme, l’usine, qui les absorbe peu à peu. La narratrice en fera l’expérience puisqu’elle « s’ossifiera » à mesure que l’histoire avance, engoncée dans un corset de plus en plus envahissant mais qui la soulage de maux de dos insupportables. Allusion à ce monde ouvrier qui se calcifie pour résister à une société moderne qui voudrait le voir disparaître ? Ce corps rigide ne prend vie que par la voix, devenue puissance de raconter l’anecdote du quotidien alors que tous les autres personnages ne s’expriment que dans une sorte de « gromeuleu » vaguement compréhensible qui rappelle les films de Jacques Tati.

Cette femme anonyme, ouvrière à l’usine d’armement Norscilor, qui fait vivre toute la région, raconte donc son histoire et à travers elle, l’histoire de « son amie », comme elle l’appelle, laquelle habite dans une grande tour et s’ennuie à force de ne pouvoir trouver du travail. Son quotidien se dépeuple peu à peu et le désoeuvrement la conduira jusqu’à la folie… L’écriture de Pommerat est minimaliste et vient contraster avec une mise en scène où les moyens techniques sont pour le moins grandiloquents : un décor volontairement dénudé avec d’énormes portes grises coulissantes, des lumières très étudiées qui figent les scènes dans d’immenses tableaux quasi-cinématographiques, des bruits et une musique qui jamais ne s’arrêtent et qui nous immergent dans un univers de plus en plus étouffant : tous les détails prennent du sens tandis que s’écoule cette logorrhée à chaque fois plus étrange. Pommerat repousse constamment les frontières du réel en faisant cohabiter les morts et les vivants à la manière du cinéaste japonais Hideo Nakata (qui a fait The Ring en 1998) quand un des fantômes s’extirpe difficilement d’une télévision constamment allumée. On sent ici les influences du film d’horreur, ce qui rend la réalité encore plus impalpable par endroits. Il y une mise à distance volontaire par un décor froid, des personnages qu’on n’appréhende que par les mimiques de leur corps, des mots qui décortiquent la banalité du quotidien et du fait divers jusqu’au dénouement final.

Je n’ai pu m’empêcher d’être saisie par cet univers sombre où prédomine la volonté de contrôle tant par les personnages (qui veulent garder la maîtrise d’une vie qui leur échappe), que par le metteur lui-même qui maîtrise, avec brio les moindres détails de son œuvre. Mais, par endroit, la surprise s’estompe et le spectacle tourne à vide : la fulgurance du début cède par moment la place à l’ennui quand Pommerat veut tout dire de ce monde ouvrier qu’il dissèque : la famille et les non-dits, l’usine, le travail à la chaîne et les licenciements, la prostituée qui travaille tout autant que l’ouvrier, la lobotomisation de la télévision, le politicien qui veut empêcher la fermeture de l'usine, la folie et la maladie... A force de multiplier les intrigues, il frôle parfois le cliché, même s’il donne à voir une œuvre très originale et très radicale dans sa conception. Avec cette pièce sur le travail, sur les relation entre les êtres, Pommerat questionne finalement notre propre rapport au monde : l’homme n’est-il qu’un être social ou son humanité est-elle à chercher ailleurs ?

A voir absolument au Théâtre Paris Villette, jusqu'au 18 novembre.

08 novembre 2006

Allah n'est pas obligé - critiques

Une bonne critique de la pièce à entendre sur France Culture, dans l'émission "Tout arrive" du lundi 6 novembre http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=46795
Les tél et mail pour les réservations au Lavoir Moderne Parisien :
01 42 52 09 14 / resa@rueleon.net

02 novembre 2006

Une pièce à aller voir absolument au Lavoir Moderne Parisien, Allah n'est pas obligé, adapté du roman d'Ahmadou Kourouma du 31 octobre au 7 décembre, du mardi au jeudi à 21h.

Après la Foire Saint-Germain de Paris, le Festival Off d’Avignon en juillet dernier, au Pulsion Théâtre, et le Lavoir Moderne Parisien dans le cadre du festival francophone en août dernier, la Compagnie l’Antre Deux est reprogrammée au Lavoir Moderne Parisien avec son spectacle salué par la critique en Avignon :

« Beau décalage entre récit d’horreur et les grands sourires » (Libération du 11/07/06)
« Aux descriptions les plus insoutenables font contrepoint l’énergie salvatrice, le ton drolatique et l’esprit de farce « carnassière » qui préservent l’intensité de l’adhésion » (Le Point du 13/07/06)
« La compagnie Réunionnaise « l’Antre Deux » a pris un biais intelligent et pertinent pour mettre en scène cette œuvre. C’est un superbe travail de mise en scène, bravo Laurent Maurel, c’est superbement bien joué par deux splendides comédiennes… » (La Marseillaise du 29/07/06)
« Tout est intelligible, fort et bouleversant. Une création originale à voir absolument (…). Le langage pur de l’auteur s’avère merveilleusement restitué par la mise en scène. » (La Provence du 25/07/06)
« On est happé par les mots, par la chorégraphie (…) de ces deux corps, par le mélange d’absolue férocité, d’inattendue tendresse que déverse ce texte. » (Le Midi Libre du 22/07/06).
« Ces femmes pourraient être africaines, ou croates, ou serbes, ou tchétchènes... Cette voix unique est celle de la persécution. Elle capte toute l’attention du spectateur, le cloue sur place, lui coupe littéralement le souffle. C’est grotesque et sublime, poignant et distancié : une grande réussite. » (Theatreonline.com de juillet 2006)
« On est sous le charme, on rend les armes du jugement. L’alchimie du théâtre a marché » (L’Avant-Scène Théâtre de juillet 2006)