16 novembre 2006

Marre des récits autobiographiques ?

Mais pourquoi donc la littérature française contemporaine m’ennuie-t-elle à ce point ? Certes, il serait absurde de l’enfermer dans une étiquette trop réductrice et de ne pas voir toute sa diversité de tons et de genres, sous peine aussi de retomber dans les débats du salon du livre de mars dernier où d’éminents journalistes et critiques littéraires posaient cette question qui n’a d’ailleurs pas été tranchée dans le vif : la littérature francophone est-elle française ou la littérature française est-elle francophone ! Débat sans fin où chacun défendait son pré carré littéraire et son intégrité stylistique, si tant est qu’elle existe ! D’un côté, une littérature franco-française se sentant menacée en son centre par une littérature francophone revivifiante restée encore en marge (même si les choses commencent à changer), de l’autre une littérature francophone en mal de reconnaissance aspirant à se retrouver au centre. Mais passons…

Disons, pour être moins catégorique, que ce qui m’ennuie profondément dans le roman français actuel, c’est sa propension à se raconter sous toutes les coutures comme si les états d’âme d’un auteur, si connu soit-il, suffisait à intéresser le lecteur. Condition sine qua non du bon roman français par excellence où l’autofiction vient taquiner l’autobiographie ! En effet, nombre de critiques s’extasient sur cette belle « inconstance du sentiment amoureux » ou sur cette « meurtrissure de l’être » qui se donne à voir sans pudeur, dans toute sa « vérité ». Encore faut-il se demander de quelle vérité il s’agit : la recherche d’une authenticité intrinsèque à chacun serait-elle le maître mot d’une société obnubilée par elle-même, devenue égocentrique à force de boire à la télévision des reality shows de plus en plus accrocheurs ? Pourquoi l’audimat passe-t-il par le fait de laver son linge en public ou de se raconter absolument dans son être le plus intime ? Si tout peut être matière à devenir roman – ce que je ne conteste absolument pas – une bonne partie des romans français actuels se construisent sur cette formidable capacité à ne rien dire. Romans psychologiques par excellence où le silence devient l’expression d’une « vulnérabilité indicible » ou d’une formidable « quête de l’amour impossible », comme disent certains. Bref en parlant de soi, l’auteur parle l’homme en général ! Du particularisme de l’écrivain pour toucher à l’universel ! Eternel leitmotiv du roman, tout écrivain aspirant à l’universalité.

Mais ce retour en force d’une subjectivité exacerbée va t-il au-delà de la simple autosatisfaction ? Je lisais récemment le dernier opus de Michel Besnier, La Vie de ma femme (Stock, 2006) ou encore celui de Camille Laurens Ni toi, ni moi (POL, 2006) et je n’avais de cesse de m’interroger sur l’intérêt de tels sujets : la chronique détaillée de la vie d’une femme – en l’occurrence la sienne – dans la France des années 50 à 70, pour l’un ; les aléas poético-romantiques d’une écrivaine en mal d’inspiration dont la correspondance mail deviendra finalement roman, pour l’autre ! Entre le journal d’une vie très ordinaire d’une héroïne qui n’a rien d’héroïque et les déchirements sur fond de « Je t’aime moi non plus, j’te quitte, j’te trompe, je divorce », je suis restée plutôt perplexe ! Certes, peu de rapports entre ces deux romans si ce n’est la fibre biographique et cette volonté de se raconter à tout prix pour faire de sa propre existence une histoire d’exception qui doit parler à tout le monde. Or si certains sont férus de ces retours d’expériences, de ces partages d’une vie réelle ou rêvée, pour moi, ces romans ont plutôt tendance à me laisser indifférente quand le biographique ne va pas au-delà de la simple complaisance et s’enferme dans une recherche somme toute égocentrique.

Il y a bien sûr des textes autobiographiques que j’ai découverts avec grand plaisir comme France, récit d’une enfance de Zahia Rahmani (Sabine Wespeiser éditeur, 2006) où l’auteur explore le poids de la culpabilité entre la France et l’Algérie à partir de son histoire familiale : partant de sa propre expérience, elle raconte avec justesse le devenir de toute une génération prise entre deux cultures et incapable de gérer cet entre-deux . Comment penser l’intégration dans la société française ? Faut-il s’assimiler totalement à une seule culture au risque de s’amputer d’une partie de soi-même ? Récit autobiographique certes, mais qui va bien au-delà…


Ou encore, une bande dessinée originale en matière d’autobiographie, Le Journal de Fabrice Neaud (Ego comme X, 1996-2002), œuvre complexe et singulière qui, à partir d’une expérience de vie, propose une réflexion à plusieurs niveaux sur la signification de l’image et le poids des valeurs dans notre société... L'autobiographie peut dépasser le simple narcissisme !

Aucun commentaire: